Dans un article précèdent, nous expliquions comment l’homme crée les races de chiens. Cependant, ça n’est pas toujours sans conséquences… Quand il privilégie l’esthétique au prix de la santé et du bien-être, ce sont les animaux qui en pâtissent. Aujourd’hui, on se penche sur le coté obscure de la sélection et des phénomènes de mode touchant le monde canin.
Sommaire
La sélection canine
Depuis la nuit des temps, l’homme sélectionne les chiens présentant des caractéristiques à son goût : il les fait se reproduire entre eux afin de développer et de fixer ces traits. C’est ce qu’on appelle la sélection artificielle et c’est ainsi que les races de chiens sont créées. Mais une question se pose alors : quels attributs avons-nous sélectionnés ? S’agit-il de caractéristiques bénéfiques ou néfastes pour la santé de ces chiens ?
C’est quoi les chiens hypertypés ?
Les chiens hypertypés sont des animaux dont la sélection a abouti à des traits accentués à l’extrême. Ces modifications morphologiques provoquent souvent divers problèmes de santé et beaucoup de souffrance animale.
La sélection sur base de critères esthétiques : le culte du « mignon »
L’exemple le plus célèbre est celui des races à la face aplatie telles que le Bouledogue et le Carlin. Leurs voies respiratoires sont aussi plus ou moins « aplaties », ce qui engendre de nombreux problèmes (syndrome obstructif du brachycéphale). C’est pour cette raison qu’on les voit souvent respirer de manière laborieuse et bruyante. Cela peut devenir très handicapant, surtout lorsqu’il fait chaud, lorsque le chien est obèse ou lorsqu’il fait de l’exercice. Il peut même s’étouffer. On finit souvent par devoir opérer.
Il y a aussi les races qu’on a sélectionnées afin qu’elles aient de nombreux plis de peau comme le Shar-Peï. Cependant, la macération, le manque d’aération et les frottements au niveau de ces plis favorisent de nombreuses infections et inflammations cutanées. Il en va de même avec leurs oreilles dont l’ouverture est fortement réduite. De plus, leurs paupières sont si lâches qu’elles ont tendance à s’enrouler vers l’intérieur (entropion). Les poils frottent alors contre l’œil et l’irritent. Une chirurgie peut être nécessaire.
Un autre exemple est celui des chiens que l’on a sélectionnés pour qu’ils aient de longues oreilles tombantes toutes mignonnes. Mais cela favorise les otites. On citera le Cocker qui est prédisposé à ce genre de problème.
Les « néoténies » sont d’autres phénomènes courants. Cela consiste à sélectionner des chiens pour qu’ils gardent des caractéristiques enfantines toute leur vie. Les bébés, c’est mignon. Toutefois certains de ces traits juvéniles sont dangereux. On prendra l’exemple du Chihuahua dont la minuscule tête garde parfois une fontanelle : une partie de son crâne ne s’est pas refermée, il reste un espace sans os. Cette zone est particulièrement vulnérable au moindre choc. Il y a aussi le Cavalier King Charles qui est sujet à la maladie de Chiari : c’est une malformation de son crâne qui est tellement petit, arrondi et aplati qu’il ne peut contenir tout le cerveau et le cervelet correctement. Ce dernier est alors repoussé en arrière et fait protrusion dans l’ouverture normalement réservée à la moelle épinière.
La sélection de formats exagérés (trop grand, trop petit…)
Certaines races ont de très grands gabarits. On les a sélectionnées pour qu’elles soient ainsi. Toutefois plus un chien est grand, plus il est sujet aux dysplasies de la hanche et du coude, des maladies ostéo-articulaires. De plus, les gènes responsables de la taille sont impliqués dans la croissance et la division cellulaire. Leur sélection engendre de nombreux cancers des os (ex : ostéosarcome). On citera le Dogue Allemand en exemple. La durée de vie des grands chiens a donc fortement diminué.
On a également sélectionné certains chiens pour qu’ils aient un format miniature. Ces derniers ont souvent des fractures au moindre petit choc car leurs petits os sont bien plus fragiles.
Pour finir, on a aussi développé des conformations irrationnelles. Les fœtus de Bouledogue Anglais ont des têtes énormes alors que leurs mères ont des bassins très étroits. Ainsi, 95% des éleveurs ont recours à la césarienne plutôt qu’à une mise bas naturelle. Il y a aussi des races avec des membres très courts et un dos très long (Basset, Teckel….) ce qui engendre de nombreux problèmes de dos.
Les tares qui se cachent sournoisement
Il arrive que certains traits qui semblent anodins en apparence soient en fait liés à d’autres tares génétiques. Dans ce cas, on ne sélectionne pas forcément l’animal sur base d’un trait néfaste en lui-même, cependant ce dernier vient en package avec des tares non soupçonnées. Par exemple, le Golden Retriever a été sélectionné pour être de plus en plus blanc et petit. Eh bien, en parallèle on a pu observer de plus en plus d’ichtyose chez ce chien, une maladie cutanée génétique. Elle s’est répandue et touche à présent plus de 30% des Golden Retrievers.
Pour le Shar-Pei, nous avons sélectionné une peau plissée, cependant cette caractéristique est liée à une altération génétique plus globale qui touche de nombreux autres organes. On l’appelle « la fièvre du Shar-Pei ». Ainsi, en sélectionnant une peau plissée, on a également sélectionné pleins d’autres symptômes de cette maladie : fièvres récurrentes, problèmes articulaires et rénaux…
Le sélection engendrant des problèmes psychologiques chez le chien
Le chien a besoin de son corps pour effectuer de nombreux comportements naturels essentiels à son bien-être. Par exemple, il a besoin d’un corps valide pour pouvoir explorer, courir et jouer. Mais cela peut devenir difficile chez certain chiens hypertypés. Par exemple les Bouledogues qui ont un museau très aplati s’essoufflent au moindre exercice et leurs pattes très courtes limitent leurs mouvements.
Le chien a aussi besoin de ses oreilles, de sa queue et de ses yeux pour communiquer et interagir avec les autres chiens. Cependant, cela devient compliqué lorsque sa queue est très courte ou en tire-bouchon, lorsque ses oreilles sont pendantes donc très peu mobiles, ou lorsque ses yeux son recouverts de longs poils. Il a alors du mal à se faire comprendre et à comprendre les autres, ce qui engendre de la frustration, de l’anxiété, voire de l’agressivité.
Comment lutter contre ces dérives ?
Diverses mesures peuvent être mises en place afin de lutter contre l’hypertype :
– Modifier les standards de race. Ce sont les caractéristiques que les clubs canins ont choisies afin de définir leurs races. La convention européenne pour la protection des animaux de compagnie a créé divers textes où elle appelle à modifier les standards les plus néfastes au bien-être et à la santé animale.
– Écarter de la reproduction les chiens trop hypertypés : par exemple, la société centrale canine (l’association chargée de gérer les clubs canins) élabore des tests afin de repérer les Bouledogues et les Carlins qui respirent trop laborieusement et de les disqualifier pour la reproduction.
– Informer les éleveurs afin qu’ils prennent conscience des dangers et des souffrances animales que les hypertypes représentent.
– Former les juges canins pour qu’ils apprennent à reconnaître et à sanctionner ces dérives.
– Sensibiliser le public. La grande majorité des maîtres ne sont pas au courant des effets de l’hypertype.
– Sensibiliser les médias pour qu’ils ne mettent pas en avant des chiens hypertypés, faisant ainsi la promotion de ces troubles (films, publicités…). L’effet de « mode » joue un rôle clef dans le développement de ce problème.
– Les vétérinaires ont également un rôle important dans toutes ces mesures de sensibilisation.
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